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« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985
en divers périodiques ou catalogues
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
12.
Avant-garde et provinces
Trois expositions en province
Durant le mois de mai 1970 auront lieu trois manifestations d’arts
plastiques qui présenteront un ensemble sans doute incomplet,
mais cependant très indicatif, de ce qui se crée actuellement
en France. À Tours, animé par le Groupe 37, le Salon « Environs »,
dont le but proclamé est de montrer « les diverses
tendances actuelles de l’art s’élaborant en province »,
connaîtra sa seconde édition (1), à l’occasion
de laquelle, pour confirmer la bonne qualité de l’ensemble,
seront invités quelques-uns des meilleurs parmi les peintres parisiens.
Sous l’impulsion de MM.Bec, Jude et Viallat, à l’occasion
des « Rencontres poétiques » conjuguées
de Coaraze et du Mont Saint-Michel, se tiendra du 16 au 23 mai une exposition
rassemblant une cinquantaine de peintres de moins de quarante ans, représentant
un panorama presque complet des tendances actuelles. Enfin, à Montpellier, « A.B.C.
Production groupant des peintres et des sculpteurs de diverses tendances
(Alkemar, Azemard, Bioulès, Clément…) organise une
série de manifestations pour lesquelles chacun des membres du
groupe invite plusieurs artistes dont les travaux lui semblent correspondre à ses
propres préoccupations. Ainsi, avec pour chacune des organisations
son originalité. Montpellier, Limoges et Tours recevront les œuvres
de soixante à quatre-vingt jeunes peintres et sculpteurs (car
relativement nombreux seront ceux que l’on retrouvera dans chaque
liste d’exposants) et donc, en principe, les divers aspects de
l’avant-garde actuelle telle qu’on peut la voir en France.
La genèse
Cette soudaine revue simultanée des effectifs n’est évidemment
pas due au hasard, même si, quoiqu’en relations, les diverses
expositions ne sont pas organiquement liées entre elles. Il s’agit
du résultat d’un long travail de mise en contact et d’information
dans lequel « l’Ecole de Nice » a joué un
rôle important puisqu’on la retrouve à chacune des étapes
préparatoires. Une première tentative, sur l’initiative
de C.Viallat et de J. Lepage, fut l’exposition « impact » à Céret,
en juillet 1966, réunissant des peintres catalans, parisiens et
de « l’Ecole de Nice » (l’affiche avait été réalisée
par Arman).En 1968 et en 1969, le « Salon d’Automne » de
Lyon, en présentant d’abord les « Jeunes de Ecole
de Nice » puis le « Groupe 37 » ainsi
qu’un collectif grenoblois (Carrier, Dody, Unal, etc…) créait
un autre relais. En 1969 avait lieu le premier Salon « Environs » qui
présentait une quarantaine d’exposants, et reprenait en
préface dans son catalogue un texte –manifeste sur les rapports
culture-création-province publié en 1968 par le mouvement
niçois INterVENTION. Enfin, en novembre 1969, l’exposition
Sigma V (à Bordeaux) à laquelle prenait part l’Ecole
de Nice, s’organisait sur le thème « Recherche
et Province ». Forts de ces précédents, bénéficiant
en outre d’être organisés par de jeunes artistes au
courant de travaux qui pour beaucoup n’ont pas encore conquis les
galeries de la capitale ni les moyens ordinaires de l’information, « Environ2 », « Rencontre » et « A.B.C.
Production » entendent montrer en 1970 que Paris n’est
plus le lieu nécessaire ou privilégié, ni même
probablement majoritaire, de l’avant-garde – à supposer
que ce ne soit pas depuis longtemps déjà une légende
(2).
« L’avant-garde » notion confuse ?
Le retard de l’information et la carence des organismes officiels
font qu’il existe souvent – et d’une manière
particulièrement nette en France – une coupure profonde
entre le public et la recherche artistique. Rien d’étonnant
donc si l’on voit, au niveau de la vulgarisation (mais parfois,
et trop fréquemment hélas, par des personnes dont le travail
supposerait une meilleure information) qualifier d’avant-garde
tout ce qui manifeste extérieurement une agressivité dans
le thème, le style, ou les matériaux employés ;
on constate ainsi toute une parodie de la recherche qui se développe
dans le collage, l’assemblage, les montages érotico-mystiques,
les gesticulations spectaculaires sous-Daliesques à prétexte
vaguement éthiques, l’emploi de matériaux insolites,
l’abandon de la toile, de la peinture, pour d’autres moyens
supposés plus « modernes », procédés
qui permettent à beaucoup de s’assimiler sur les apparences
aux recherches authentiques (3).
Mais c’est oublier que l’œuvre est la mise en réalité d’un
mental qui commande et seul légitime l’emploi des moyens
appropriés ; c’est faire preuve, aussi, d’une
méconnaissance flagrante du développement des arts plastiques
depuis le début du siècle (4), avec l’acquisition
de techniques nécessitées par les diverses sensibilités
nouvelles, par exemple celles dites abstraites [constructivismes, géométrique,
lyrique, gestuelle, suprématisme…] des modes d’expression
supposés figuratifs [comme l’Expressionnisme, le Futurisme,
le Cubisme, le Pop’art ](5), ou plus ambigus encore le Surréalisme
et Dada, qui sur la lancée du Cubisme introduisent l’utilisation
des objets et matières, comme médium mais aussi et surtout
pour se représenter eux-mêmes : ce sera dans le domaine
des arts plastiques l’un des faits les plus marquants du denier
demi-siècle, après quoi les notions critiques d’abstraits
ou figuratif n’ont plus guère de sens. Ces notions n’ont
en réalité jamais été fondamentales comme
généralités (sinon à l’époque
où il a fallu faire admettre la non-figuration) la sensibilité de
certains abstraits lyriques étant par exemple plus voisine d’une
figuration impressionniste que de l’abstraction géométrique ;
en outre de nombreux courants, depuis au moins l’Art Concret d’un
Max Bill, par exemple, sont parfaitement extérieurs çà ces
catégorisations : ainsi toutes tentatives, répondant
parfois de démarches très différentes qui cherchent à révéler
des structures, tels les pliages de Hantaï (6) les travaux récents
de Degottex, les empreintes de femmes d’Yves Klein, la tendance
des « Séries » (7), ou comme le néo-réalisme
(accumulations d’Arman, emballage de Christo, tableaux pièges
de Spoerri…) qui ne sont pas figuration d’un objet, mais
l’objet lui-même (8). Parmi les tentatives actuelles échappant également à cette
classification « l’art conceptuel » qui à la
limite fait disparaître l’objet pour simplement témoigner
d’une existence ou d’un événement.
Par la somme d’informations qu’elles supposent, mes trois
manifestations provinciales « Environs » « A.B.C.
Production » et « Rencontres » permettront
non seulement de confronter un art en train de se faire avec les contradictions
obligées de la recherche plastique prise entre la nécessité de
l’évidence de l’œuvre et la conception mouvante
d’un travail « en pointe », mais aussi contribueront à mettre
aux yeux de beaucoup un peu de clarté sur l ‘évolution
des tendances qui se sont affirmées dans les quinze dernières
années et de les situer à leur juste place historique.
Il serait évidemment souhaitable que le travail d’exploration
de ces organisations, dues à l’initiative de quelques personnes,
soit l’objet d’une manifestation de synthèse qui pourrait
présenter « La jeune peinture en France » en
regroupant les tendances, ce qui serait sans doute plein d’enseignement.
- « Environs 2 » du 8 mai au 23 mai 1970, dans
les locaux de la Bibliothèque Municipale de Tours.
- Paris a incontestablement perdu le rôle de capitale internationale
des arts plastiques qu’elle jouait avant 1939. Outre celui des
défaillances économiques, on peut voir là l’effet
du centralisme culturel : les provinces sous-informées
incapables de fournir un apport vivifiant à une capitale continuant à vivre
sur les illusions d’un passé glorieux. L’Ecole de
Nice doit certainement son existence à des rapports devenus
possibles avec les mouvements new-yorkais, londoniens ou milanais,
entre autres, sans l’intermédiaire de Paris.
- Voir dans le P.C.A. du 10 mai 1969 « Quand, l’avant-garde ? »,
article dans lequel nous tentions une ébauche de méthodologie
critique sur le problème.
- Il y aurait beaucoup à dire sur l’activité des
musées et assimilés, et bien davantage sur leur inactivité (Voir
dans le P.C.A. du 16 décembre 1969, l’article de Michel
Gaudet), sans parler des problèmes de l’enseignement des
arts plastiques dans les écoles spécialisées,
et de la maternelle – finalement la moins mal servie- à la
Faculté (où à peu près rien n’existe).
- À titre d’exemple, le Pop’art (utilisation esthétique
de l’image populaire ou publicitaire…) que les épigones
de la dernière heure voudraient présenter comme un mouvement
d’avant-garde, est né dans des efforts de théorisation
et des confrontations organisées par « l’Indépendant
Group » au sein de l’«Institute of Contemporary
Art », à Londres, entre 1952 et 1954. En 1958, les
données essentielles du Pop’ sont affirmées
dans des œuvres comme celles de Richard Hamilton, Eduardo
Paolozzi, etc. et l’époque avant-gardiste s’achevait
pour faire place à une époque d’expansion.Même
constat pour l’art cinético-visuel dont Christiane Duparc
dans un article récent (N.O. numéro 278) note les étapes :
Gabo qui parle explicitement de cinétisme dans son manifeste
de 1920. Depero et ses « complexes plastiques » à moteur
(1915). Balla et son Ballet-Lumière (1917). Moholy-Nagy et ses
dizaines de « Space-Modulators » qui a écrit
tout un livre intitulé « Vision en mouvement ».
le Bauhaus et ses cinétistes. Albers et ses « Constellations ».
Léger et son Ballet mécanique. Duchamp et ses « Machines
optiques ». Calder et ses « Mobiles ».
Bury, Agam, Soto en 1953.Et les vingt Sud-américains du groupe
Madi qui exposait aux réalités nouvelles en 1952-53 quand
Vasarely y présentait des compositions tout à fait
statiques et formelles.
- On a pu voir l’an passé une importante exposition d’œuvres
de Hantaï à la fondation Maeght (Saint-Paul de Vence).
- L’Expo-Information « De l’Unité à la
Détérioration » que présentait du 27
février au 12 mars la Galerie B.D.T à Nice, tentait
de saisir ce courant que ne désigne encore aucun nom synthétisant
satisfaisant. Il semble se confirmer que des travaux équivalents
existent au Japon et aux Etats-Unis notamment, alors qu’en Europe
le mouvement ne semble avoir atteint une importance notable qu’en
France et particulièrement entre Menton et Montpellier avec
Bioulès, Cane, Charvolen, Chacallis, Dolla, Maccaferri, Saytour,
Viallat, Osti, Miguel, etc…
- Marcel Duchamp posa le principe en évidence en exposant son
célèbre « Sèche-bouteille ».
Patriote Côte d’Azur n°136. 2
mai 1970
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