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Ecritures en patchwork
 
 

 

 

« Des écritures en Patchwork »

Textes de  Marcel ALOCCO  parus de 1965 à 1985
 en divers périodiques ou catalogues

Publiés en recueil par les « Z’Editons »  d’Alain Amiel, à Nice en 1987

 

16.
La province répond…

Le Midi bouge, soit. Et sans doute le remuement sociologique et la prise de conscience qui l’accompagne sont-ils fondamentalement plis importants que l’éclosion d’une génération d’artistes et le déferlement récent d’une vague de pompiers de l’avant-garde masquant les quelques travaux qui, plus solides, sont souvent cachés dans ses plis. Et Ben a raison de situer le débat sur un autre plan. Mais la pratique du fait plastique étant notre travail, limitons-nous un instant à ce seul domaine, autant qu’il est possible. Selon la « Comédie » que présente Lepage, il a suffi d’une « heureuse conjonction » et de quelques expositions : par la grâce d’un homme providentiel et de deux ou trois complices, l’accouchement se fait sans douleur et sans problèmes : peinture racontée par les expositions et l’inspiration d’un ou deux hommes (géniaux, évidemment) comme ailleurs on raconte l’Histoire par le caractère des hommes d’Etat et les grandes batailles. Or tout s’est passé en rencontres, en dialogues, en échanges, en interférences, en conflits – un travail qui sous-entend une multitude d’efforts tantôt en conjonction, tantôt en opposition…
Les grands aînés du Nouveau-Réalisme partis, les jeunes Niçois sont restés avec tous leurs problèmes, complexe du provincial en moins (ou en exergue ?) et pour certains, quinze ans après, l’aliénation du « geste appropriateur ». Les influences sont multiples, confuses, contradictoires : Nouveau Réalisme, mais aussi Pop ‘art et Fluxus, Arman mais Raysse, mais Klein, mais Ben, mais George Brecht, mais Filliou, mais l’abstraction américaine dans les livres (elle était « rêvée » plus que connue) et l’art conceptuel et le comportement et les envois et, en 1966, Buren – Parmentier _ Toroni – Mosset qui de manière radicale reposent le problème « Peinture » masqué par les fuites sur d’autres problèmes comme l’objet, l’image etc… passant enfin au-delà de la tache aveugle sur leurs rétines, l’ombre de Pollock.
Tout ce beau monde se débat en opposition plus ou moins absolue avec les organisations annuelles qui font du « garage » pour l’abstraction avec la caution avant-gardiste de quelques jeunes peintres à la démarche encore hésitante (Festival des Art Plastiques), quand ce n’est pas un combat d’arrière-garde typiquement provincial, au sens péjoratif où Paris est souvent très provincial (Jeune Peinture Méditerranéenne).Ceci apparaît clairement dans les « Tout », les « J’aime et j’attaque » de Ben, dans ces critiques a-sytématiques, injustes parfois, scandaleuses et toujours libératrices, où critiques-tabous et correspondants locaux, gloires internationales et barbouilleurs sont commentés et notés, généralement de 0 à 20… sur 100.
Car il ne faut pas oublier que tout se passe dans le vide critique le plus total. Quelques rares comptes-rendus pratiquant l’amalgame et la poussette au copain, d’un intérêt strictement publicitaire, sans plus. L’activité réelle d’échange, de critique, de collaboration se fait sur le trottoir devant la boutique de Ben, dans les ateliers, autour des revues artisanales et souvent éphémères (et au moins irrégulières) comme « 0 » (Zéro) et « tout », « Identités » et « Open », les tracts et les dossiers « INterVENTION », toutes entreprises de partis pris, conçues comme des manifestes, provoquant sympathies et hostilités : dans cet esprit s’improvise « Le litre » (Galerie A.) avec Ben, Bozzi, Dietmann, Brecht, Farhi, Mosset, Viallat, Alocco… Puis le « Hall des remises en question » un an plus tard où l’on voit Joe Jones, mais aussi Cane, Saytour, Dolla… en plus de l’équipe du « Litre ».
Pour ne pas mourir, il faut ouvrir des fenêtres : en 1967-1968, les nombreuses expositions rencontres italiennes y pourvoient, les contacts avec l’équipe de « Bit », revue milanaise de la « Poésie froide » ; En 1968, André Mure, président du Salon d’automne de Lyon décide aussi d’aérer et invite à Nice, à Grenoble, à Tours… « Environs » naît l’année suivante de ces rencontres ; le circuit des expositions provinciales jusque-là exceptionnelles est lancé.Mais s’il sonne souvent creux, c’est que le soutien théorique est ici où là plus fréquemment absent, tandis qu’à Nice les instruments se sont forgés en dix ans, et l’information circule enfin, le plus souvent par-dessus la tête de ceux qui devraient diffuser. (…)

« l’art vivant » n°35, décembre 1972

 

N.B : Il s’agit ici, suite à un très long article de J. Lepage dans le n°33 de « l’art vivant » intitulé « La province bouge », d’une lettre adressée à Jean Clair, rédacteur en chef du Mensuel « l’art vivant », qui précisait : Nous avons reçu plusieurs lettres, dont une de Raphaël Monticelli, contestant, dans des termes voisins, l’article de Jacques Lepage. Comme quoi, même au micro-niveau d’une région, il est difficile d’écrire l’histoire.
Et dans la colonne voisine, J. Clair publiait en rouge une lettre de Pierre Restany « Mis en cause par le provincial pathétique Lepage dans le n°33 de « L’Art Vivant » à propos de Ben, je tiens à préciser que j’ai toujours considéré Ben comme un con, mais dans le genre « brave » plutôt que dans le genre « pauvre » et que je persiste à penser de même aujourd’hui. »
P.S. Une petite précision supplémentaire, au sujet des ragots concernant le Premier Festival du Nouveau Réalisme que j’avais organisé à Nice en 1961 avec Jean Larcade et Nicole Muratore : l’agresseur d’Arman dans les jardins de l’Abbaye de Roseland n’était autre que… Spoerri. Il est vrai que le brave Lepage, tenu pour valeur nulle, n’était pas de la fête : il en parle par ouï-dire.
Et le magazine de préciser : « Nous laissons, bien entendu, à Pierre Restany, la responsabilité de ses jugements.»

 

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