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Ecritures en patchwork
 
 

 

 

« Des écritures en Patchwork »

Textes de  Marcel ALOCCO  parus de 1965 à 1985
 en divers périodiques ou catalogues

Publiés en recueil par les « Z’Editons »  d’Alain Amiel, à Nice en 1987

 

36.
Centre National d’Art Contemporain
Villa Arson.

Ce texte, publié dans le cahier de présentation du C.N.A.C-Villa Arson en mai 1985, apparaissait avec pour signature ce qui est ici devenu son titre. Je m’y faisais le porte parole de l’équipe qui avait élaboré le projet et un programme à long terme, et mis en place les premières étapes de sa réalisation, qui devait être interrompue quatre mois plus tard.
(Avertissement ajouté lors de la publication de
« Des écritures en Patchwork » aux Z’Editons, Nice, d’Alain Amiel, en 1987)

 

Tout espace assimilé au « Musée » est généralement perçu comme lieu neutre imposant le meilleur d’une production. Pourtant, lorsqu’un lieu est voué à l’art contemporain, à ses aspects les plus vivants, son objectif est de mettre en jeu des valeurs culturelles et au besoin de les redistribuer en les énonçant, plutôt que d’accréditer sans distinction les barèmes mis en place par le marché.
Seule la claire affirmation des partis-pris permet d’édifier un parcours qui ne soit pas de banale médiocrité.
Avec onze chercheurs, chacun responsable de sa section, l’Exposition-Congrès « Ecriture dans la peinture » était conflictuelle, mais d’entrée posait le principe de « recherche dans les arts plastiques ». On a pu lui reprocher d’être complexe et dérangeante... tel était bien l’objectif : lever le plus de questions possible autour d’un axe, l’Ecriture, choisie délibérément comme thème porteur dans la mesure où penser l’écriture apparaît comme une démarche fondamentale dans toutes les disciplines de la création artistique contemporaine.
L’Exposition-Essai, inspirée par le livre de souvenirs « Déjà-jadis, ou du mouvement Dada à l’espace abstrait » (Editions R. Juillard, les Lettre Nouvelles, 1958) de Georges Ribemont-Dessaignes, construite avec les oeuvres de ses amis autour des travaux du peintre-écrivain, a permis de situer l’actualité dans le rapport aux courants principaux de l’art du vingtième siècle (Dada, surréalisme, les diverses voies de l’abstraction, de façon générale la problématique plastique de la « figure », la place du geste et du corps dans l’espace face à l’oeuvre...) et ceci à partir d’un point fixe, personnage et lieu bien localisés : Georges Ribemont-Dessaignes et Saint-Jeannet, village près de Nice. La série des expositions qui suivaient au printemps 1985 était comprise comme reconnaissance de nos racines dans toutes leurs dimensions artistiques et sociologiques, avec la convergence de trois parcours thématiques sur une problématique fondamentale commune. Autour d’un lieu réel à dimensions mythiques, le plateau de Saint-Barnabé, près de Vence, « Le parlement des Idoles » permettait avec la peinture, la sculpture, la photographie et la poésie, de dépasser l’attitude provinciale (que masquaient dans le passé encore récent les grandes présences de Bonnard, Renoir, Dufy, Matisse, Picasso, Chagall, Miro...) pour atteindre le présent et déboucher sur les recherches les plus actuelles de l’esthétique : « La Centre de Documentation des artistes de la Région » peut devenir le théâtre de l’affrontement dynamique d’où se dégage la création de notre temps ; dernier volet, les « Regards sur la Villa Arson », destiné à connaître des prolongements, proposait une première exploration et une familiarisation avec la scène et les acteurs de ce qui se joue au Centre National d’Art Contemporain de Nice.
Le Bauhaus a déjà eu lieu, et dans des conditions qui n’étaient pas celles où se produisent depuis un peu plus d’un an la naissance au public et la mise en place des activités du Centre National d’Art Contemporain. La similitude, parfois évoquée, ne peut-être que celle du rôle assumé de lieu d’élaboration d’une conception des arts plastiques et, plus généralement, d’une pensée créatrice porteuse d’une dynamique susceptible d’offrir à notre époque de nouvelles références et de nouveaux repères : que l’existence d’un nouvel instrument en recherche permanente puisse féconder et favoriser l’émergence artistique et dans la confusion des pensées et des valeurs que favorisent les actuelles mutations, par-delà les affirmations terroristes des divers pouvoirs et des modes, produire l’évidence autour d’initiatives exemplaires. Les actions du Centre National d’Art Contemporain seront exemplaires en ce qu’elles ne sa poseront pas en modèles, mais en terrains de proposition et d’avancées, de prospection du domaine abordé, expositions et publications jointes dans un mouvement de recherche, « Art et Littérature retrouvés » dans la confrontation, lorsque la diversité conflictuelle se dépasse pour la cohérence d’un projet.
Ainsi, l’exposition « Ecritures dans la Peinture » constitue un matériel initial et, parallèlement à celle d’Exposition-Esssai, la notion d’Exposition-Congrès se substitue à celle d’exposition inventaire : à l’état des lieux, appropriation muséale qui tend à arrêter un acquis sélectif, à faire le bilan clos devant l’éternité, succède la mise au présent, comme voies complexes, différentes sans être forcément contradictoires, des possibles de l’avenir. Programme très ambitieux, mais sur de tels enjeux on n’est jamais trop ambitieux. Matières à réflexions et matières à changements, l’art actuel, comme le temps, est un passage dont l’Histoire arrête l’image après-coup, quand la vie en est sortie. L’ouvrage qui ouvre le futur est souivent celui qui aujourd’hui chuchote, tandis que plus immédiats et périssables quelques autres sembles hurler leurs discours.
Une exposition comme celle, initiale, « Ecritures dans la Peinture » prend davantage sens à mesure que se situe de texte en texte, de présentation en présentation, la relation de l’ensemble de la démarche du C.N.A.C. à une certaine idée de la littérature. Les « Ateliers /laboratoires », structures souples pour un travail théorique et pratique, créés à mesure des besoins et des compétences, permettent d’approfondir certains points sensibles en confrontant les chercheurs : car la recherche ne progresse pas en évitant l’une ou l’autre thèse en présence, mais en les exprimant et en les examinant l’une et l’autre. Dans cet esprit, si parmi d’autres  l’Atelier/Laboratoire « Modernité et Post-modernité » écoute Jean-François Lyotard, et le peintre James Guitet, il entend aussi Jean-Paul Aron. D’où l’importance, pour le Centre National d’Art Contemporain de Nice, d’avoir une activité éditoriale originale qui dépasse la publication des listes commentées d’artistes et d’oeuvres des catalogues traditionnels, pour fournir des outils de travail référentiels à la recherche et à la réflexion. C’est grâce à ce type de dispositif que l’équipe permanente qui anime le Centre, et les collaborateurs extérieurs réguliers ou ponctuels, popurront, comme c’est le cas depuis l’ouverture, vivre un séminaire continu qui soit une force d’analyses et de propositions vers les structures éducatives et culturelles. « Autour de Georges Ribemont-Dessaignes » c’est un demi-siècle du questionnement tragique et cruel de la pensée qu’agitent Dada et le Surréalisme, contemporains violents de l’abstraction et de ses premières métamorphoses : le travail ici entrepris de restitution et de diffusion est prolongé et conforté lorsque la réédition du « Man Ray », que l’écrivain français publiait en 1924 dans la collection « Peintres nouveaux » (Gallimard), suscite Outre-Atlantique le désir de proposer au public des photos inédites et des films de l’artiste américain.
Textes et levains, ceux qui, poèmes sous la plume de michel Butor, prose lyrique dans les pages de Pierre Restany, donnent vie à toute une sociologie mythique à partir du « Parlement des idoles », rochers témoins d’oeuvres diverses nourries aux racines communes d’un terroir riche de choses et en mots pour les dire. Sur ce même socle de roc et de terreau fertile, durement assemblés par les aînés, s’édifie progressivement le 3Centre de documentation des Artistes de la Région » dans lequel s’imbriquent oeuvres et documents, recherches pour constituer, et élaboration d’un instrument de recherche.
Ici s’exposent des oeuvres, sur les cimaises, qui sont la continuité et le fermant de la vie culturelle réelle d’un territoire. Mais ici s’accumulent aussi patiemment la trace et l’indication d’une multitude au travail. « Cahiers » et fragments d’un ouvrage plastique témoins cacun d’une recherche, d’une démarche, d’un oeuvre en édification, plus ou moins achevé, plus ou moins réussi, brillant ou humble, mais déposés pour être disponibles, accessibles à tous les publics. Le « Centre de Documentation de Artistes de la Région » deviendra dans on enrichissement progressif, davantage qu’une mémoire du présent, un instrument vivant, de plus en plus efficace, du contact des artistes avec leurs contemporains, professionnels, éducateurs, passionnés ou visiteurs un peu curieux...
Tout au Centre National d’Art Contemporain est mis en oeuvre pour aller plus loin que le seul regard du spectateur : « portes ouvertes », « vsites commentées », « classes Arc-en-Ciel », « sessions de formations », « rencontres » avec les artistes devant leurs oeuvres.
Le C.N.A.C. établit, selon des modalités adaptées à chaque groupe ou individu, une relation privilégiée avec ses adhérents. La cohérence dans la maïtrise des programmes – dont on a aperçu ci-dessus comment la progression introduit les thématiques, les notions-clefs, et ménage la prise en compte d’un patrimoine — permet de fortifier ce dialogue, tout en conciliant l’identité du C.N.AC et l’insertion qui dès l’origine est la sienne, dans un réseau de pratiques, d’expériences et de recherches, où se rencontrent et s’échangent les préoccupations dont celles, plus institutionnelles, de la Culture et de l’Education.
Il est important de souligner que ce sont les propositions exceptionnelles du C.N.A.C.— expositions ou productions textuelles, événements divers, groupes de visite et de sensibilisation avec pour point fort la rencontre avec un créateur — qui fournissent les personnes et les instruments les plus efficaces à ces démarches davantage quotidiennes. L’imagination vagabonde, elle st liberté. Ses productions (globalement l’Imaginaire), deviennent matière d’échange relationnels, entrent dans des systèmes de communication qui doivent être gérés pour garder sens et efficacité symbolique.
Ce que soutient le Ministère de la Culture en permettant à Michel Butor et aux membres du Conseil d’Orientation de la proposer, ce que tentent, et si l’on en croit la progression régulière des adhésions, réussissent les responsables — avec un dispositif comme toutes choses vivantes un peu complexe— c’est de former et mettre à l’ouvrage une équipe qui ne soit pas soumise à une définition institutionnelle a priori, mais qui crée sa mission dans le temps même où se constitue l’instrument, et fonde ainsi une démarche culturelle incluse dans la vie locale et, simultanément, de portée internationale — comme la position de la Côte d’Azur en un carrefour des circulations le permet et l’inspire.
Mars 1985

 

 

 

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