Alocco.com

 
 

 

 

2000

 

 

28.

 

Pêchez Anchise, lecteurs !

 

Dire que le livre est une marchandise n’est pas un scoop. Pour l’éditeur le meilleur écrivain est celui qui se vend le mieux. Les fast-foods ont plus de clients que Bocuse. Sont-ils donc  meilleurs en cuisine ?

 

            Jadis, l’élitisme culturel et son marché étroit maintenaient un semblant formel d’exigence de qualité, avec son revers : un conformisme assez accablant. Aujourd’hui le conformisme serait  plutôt de s’annoncer subversif.  « Dérangeant » disent-ils. Plusieurs centaines chaque année à nous déranger avec leurs livres primés... ou presque. Le marcottage (lire marketing) a ses exigences : jeune, yeux clairs, blonde longue toison, c’est mieux... pour la photo et la télé. Hélas, le sincère petit talent d’origine se noie dans la marchandisation (prononcer marchandising ?). Un livre par an. On n’écrit plus, on fait. Ceux qui parlent français comprendront. On « fait », et à la mode du jour, léger s’il vous plaît, de la cuisse aussi si possible, pour abattre ces tabous que, pour ne parler que de la partie visible de l’iceberg, depuis le noble Pétrone ou le médicinal Rabelais jusqu’au sadique Marquis, chacun avait bien respectés... croient-ils.  Quant à la pensée, elle doit être obscure, "magique", et surtout "inexprimable"... comme si le travail de l’écrivain n’était pas aussi et avant tout d’exprimer ce qui pour dire aux autres "les mots leur manquent".  Enfin, argument absolu : comme les romans américains, savoir raconter une histoire. Un peu infantile, non « raconte-moi une histoire » ? Et pourquoi pas « dessine-moi un mouton » ?  Il est vrai que comme histoires, "La Recherche..." de Proust,  "Le Voyage..." de Céline ou "La Peste" de Camus, ne sont pas de bons produits télé-cinématographiques.

            Les Prix qui chaque automne tombent comme feuilles mortes sont manifestation de l’état des lieux. Le hasard a voulu que j’aie lu depuis peu "Anchise" (Fiction & Cie, Le Seuil) de Maryline Desbioles lorsque le Fémina lui échut. Comme quoi, mes bonnes dames, nul n’est à l’abri d’une erreur. Ce livre ressemble à un Prix littéraire comme moi à Di Caprio, mesdemoiselles. Ces Dames, mauvaises pêcheuses, avaient raté, "La Seiche", (que quelques éminents critiques ont écrit "La sèche" !). Bonnes pécheresses, repenties, elles se sont rattrapées sur "Anchise", lequel pauvre vieux, franchement dégoûté, a choisi de s’autodafer. Se cramer dans son aut.., pardon, sa voiture, sur la colline au risque en cet août de nous foutre le feu aux pinèdes.

            Le bouquin ? Amateurs de Prix, s’abstenir. Seriez déçus. Pas d’histoire, ou si peu ! Mais que les lecteurs visitent. Anchise, pour ceux qui auraient lu Homère, n’est pas en ce livre époux d’Aphrodite et ancêtre d’une abondante descendance romaine.  Anchise, dont la mort de la femme emportant l’enfant promis a arrêté la vie, est une ombre promenée dans un texte court. Rien qu’un petit roman, si roman il y a. L’histoire, plutôt que d’un homme, d’un lieu, du temps qui passe, d’une couleur de l’air, d’une saveur des mots, si vous voyez. A lire pour vérifier que vous savez encore (ou enfin) regarder.

 

La Strada n°11, janvier 2000

 

 

 

29.

 

Louis Chacallis

 

            Comme c’est l’usage Galerie Sapone, un catalogue mémorise l’exposition : panorama d’une dizaine d’années de travail, poursuite très personnelle du dialogue de la peinture avec l’espace qui caractérisait en son temps le « Groupe 70 » dont il fut l’un des acteurs. Gilbert Lascault exprime fort bien la complexité de la démarche : « Louis Chacallis nous incite à penser le quatre, le proche et le lointain, le caché et le révélé, la mort et la vie, le plein et le vide, le stable et le mouvement, l’actuel et la permanence, les menaces et l’espoir, l’attente et l’action. Il peint ; il sculpte ; il médite ; il rêve ; il ébauche des récits et des petits mythes. Il invente une perspective plurielle, un espace complexe, des écrans étranges, des regards nomades et vigilants, des centres et des dispersions. » Exposition qui donne quelques réponses et pose beaucoup de questions, à voir, à Nice, Galerie Sapone, 25 bld Victor Hugo, jusqu’au  29 janvier.

 

La Strada n°11, Janvier 2000

 

 

30.

 

Viva Restaniiii !

Mimmo Rotella au MAMAC.

 

Si, du Nouveau Réalisme, devait ne persister qu’un seul nom, ce serait très probablement celui de Pierre Restany, inventeur du concept.

            Ce qui lie les œuvres fort diversifiées des artistes du groupe et des quelques uns qui autour travaillèrent dans cette zone, est plus de l’ordre du comportement ou de la sociologie, que de l’esthétique Sauf à être très hypocrite, on ne peut voir de point commun dans l’esthétique entre un sobre monochrome de Klein et une ironique machine de Tinguely, ou la déclamante publicitaire Marilyn d’une affiche (à peine ) lacérée de Mimmo Rotella. Avoir inventé un concept pertinent capable de joindre dans une même dynamique l’œuvre picturale de Klein, la vision objectivée anthropologique d’Arman, les sculptures mobiles absurdes de Tinguely, la vision Pop’ de Raysse, etc... et puis les variations « affichistes », fait sans doute du critique Pierre Restany, en son domaine, l’un des plus remarquables créateurs de ce demi-siècle finissant.

Rotella, dont le Mamac présente une rétrospective, est certainement, des « affichistes » Nouveaux-Réalistes, le plus erratique. On ne retrouve pas dans le travail de Rotella la rigueur de François Dufrêne, la ligne épurée de Villeglé ; il est comme celui de Raymond Hains, plutôt protéïforme. D’abord très influencé par les surréalistes, il aboutit à des œuvres d’une grande simplicité, dont les arrachages montrés en verso sont un sommet d’une grande force plastique. Sa participation parmi les dignes continuateurs de Raoul Hausmann dans la poésie phonétique, n’est pas négligeable. Il y a certainement de la complaisance à la mode dans une  pratique du Mec’art quelque peu terne, voire de la facilité dans la période des années soixante où l’anecdote publicitaire prend le meilleur sur l’intervention plastique de l’artiste, mais l’ensemble de l’œuvre reste d’une grande présence. L’exercice de la rétrospective, si épurée soit-elle, reste d’une périlleuse mise en évidence. Les grands murs d’un musée sont sans pitié. L’œuvre de Mimmo Rotella, sans être centrale ou bouleversante dans le paysage de son époque, y est respectable. Et ils ne seront pas si nombreux ceux qui...

 

Post-scriptum: aucun rapport avec ci-dessus, mais à connaître : visitez l’exposition Louis Chacallis, Galerie Sapone, 25 boulevard  Victor Hugo, Nice ( jusqu’au 29 janvier)

 

La Strada n°11, janvier 2000

 

 

31.

 

Nu(e) et Nioques, revues...

 

            NU(e), comme son nom l’indique publie des textes sans habillages. A vous d’apprécier, et tant pis si, comme moi parfaitement inculte, vous ignorez tout des auteurs contemporains. Le n°10, dernier paru, avance d’entrée quelques jeunes aux talents prometteurs : Michel Butor à la prose poétique, Raphaël Monticelli dans les passionnants tâtonnements d’un texte en gestation, Françoise Maunoury aux écorces érotiques, etc.. Suivent d’autres écrits qu’à leurs styles on devine plus chenus. Avec une adaptation de Pouchkine (1819), pour laquelle on s’interroge de la pertinence ici : première en français ou nouvelle version révolutionnaire ? Plus encore que sur les numéros accumulatoires, flotte sur les 8 et 9 consacrés principalement à des monographies (Deguy, Kober) comme une odeur d’amphithéâtre à la fac. en fin d’après midi, parfum de camphre ou de naphtaline en plus...

            NIOQUES, (la mal nommée diront les Niçois qui pense à un mou de la tête. Ici du grec : connaissances) est une revue marseillaise en exil éditorial à Paris. Elle se définit comme « laboratoire d’écritures immatures » : s’il arrive (ça arrive...) que l’un des auteurs se casse la gueule, c’est en montant l’escalier, en cascadeur, en général avec brio. Avec astuce et rigueur, Nioques fait dans le mélange des genres, donnant de la revue une définition qui pour n’être pas exactement celle de l’origine permet que se confrontent des essais du temps présent où la recherche, pour être fondamentale, n’en est pas moins appliquée. Nioques nous fait l’aumône en fin d’ouvrages de quelques « notes » qui mettent ses publications en relation avec le contexte. Et comme la qualité matérielle de l’édition des cent cinquante pages ou plus est remarquable, nous regrettons d’autant plus d’avoir manqué les parutions antérieures.

 

NIOQUES: Editions Al Dante, 27 rue de Paris, 93230 Romainville. 120 f, abonnement 180 f  (2 numéros/an)

NU(e): Association NU, 29 Avenue Primerose, 06000 Nice. 100 f, abonnement 270 f les 3 numéros.

 

La Strada n°11, janvier 2000

 

 

32.

 

Une vie de château...

Arman-César, un air de famille.

 

            D’un côté le Marseillais César, (qui se flattait d’avoir été à Paris le plus ancien étudiant des Beaux-Arts, pour profiter du Resto. U’: misère ! lui qui plus tard se piquerait de faire bonne cuisine méridionale...) toujours habité, en miroir, par l’ombre de Germaine Richier, de Picasso, de son ami Arman, et bon élève, à sa façon, avec quelques pointes de folie (Compressions, expansions : et l’ombre de Restany peut-être ?) le plus étonnant ou le meilleur de son œuvre selon les points de vue. Toujours avec le souci de perfection formelle – jusqu’à  émailler  après-coup, les dernières années, ses compressions- travaillé par son fantasme originel : le désir qui avait déclenché sa vocation d’être « un sculpteur pour statues de cimetière ».

            De l’autre Arman, l’alter ego d’Yves Klein en leurs débuts niçois (Klein dont il a été beaucoup question dans le dernier numéro de la Strada, à l’occasion de l’exposition au M.A.M.A.C.) Soucieux dans le plus grand fouillis accumulatoire de la plasticité de ses productions, prolifique dans la beauté des ruines, romantique au fond : traces d’objets, poubelles, multiplications du même (Ah ! les beaux tubes de couleurs écrasés...) débris d’instruments de musique explosés de colère ou brûlés (de beaux restes !) toujours, malgré une logique abondance de production et les alibis « socio-anthropologiques », attentif à l’ombre, à la couleur, à la forme, avec dans ce flot à chaque période au moins les quelques bonnes pièces qui témoignent d’une curiosité renouvelée et réussie.

            Le thème comparatif « un air de famille » prétexte de l’exposition est ici (Galerie, pas Musée) trop désordonné et schématique sans doute pour permettre une analyse des proximités et des oppositions radicales. On comprendra que trancher des problèmes esthétiques n’est pas l’objectif premier d’un marchand. Ni de son objective compétence. Mais si selon le mot d’Henri Bergson "il n’y a d’œuvre que faite", les deux artistes ont, au-delà des complaisances de circonstancielles productions parfois trop prolifiques,  fait œuvre - et parmi les solides de la deuxième moitié du siècle. (C’était Galerie Beaubourg, Château Notre-Dame des Fleurs, 06140 Vence)

(Proposé pour La Strada n°12,  n’a pas été publié)

 

 

 

33.

 

Yves Klein. Une pensée dix-neuvième.

 

            Pourquoi Yves Klein a-t-il exercé une telle fascination sur toute une génération et finalement, semble-t-il, si peu influencé les arts plastiques, si ce n’est comme l’un des plus percutants transmetteurs vulgarisateurs (et en partie transformateur il est vrai) des créations du groupe japonais Gutaï, des gestuels, et de l’Action painting ?

            En effet, on voit en ces mêmes années au japon Shiraga se servir de ses pieds nus pour appliquer la peinture, ou prendre place dans le vide, au bout d’une corde, et jeter sur la toile au sol de la peinture. Yoshida Toshio peint avec le feu. Murakami propose des écrans de papier explosés par la traversée du corps. Motogana expose des liquides colorés dans des sacs en plastique. Artistes qui à l’initiative de Jiro Yoshihara, avec quelques autres, vont créer en 1954 le groupe Gutaï, lequel posera dans ses manifestations l’essentiel des fondements de ce qui s’exprimera dans le happening, le land art, l’art conceptuel...

            Rassembler dans l’éponge, maîtriser le feu, dominer la couleur, la « gravitation » : contrairement à ce qu’affirme le discours de Klein, le spirituel est nié aux dépens de l’énergie, de l’affirmation d’une supériorité, de la volonté de gagner.

            Examinons la réalité de l’œuvre : vagues de surface, tranches peintes, on est sûrement dans les jeux de lumières et d’ombres d’un objet. Devant ce qu’il dit être un monochrome, seul le croyant voit une couleur unie : « Un climat au-delà du pensable » écrit-il aux Nouvelles Littéraires (août 1954). Notons que la couleur bleue, ce bleu-là, ce même bleu unique dont il prétend contradictoirement tantôt que c’est le ciel, tantôt la mer, ce qui à comparer fait douter de sa vision des couleurs, est déposée sous brevet en 1960 (I.K.B.). Vous voyez Véronèse, et quelques autres, aller déposer leurs couleurs ? Non. Ce ne peut être que l’acte d’un patron d’industrie attaché au résultat de l’entreprise... Rien de Zen là dedans. Ni dans le fait qu’il se mit à « éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient deci-delà dans mon beau ciel bleu sans nuages (...) Il faut détruire tous les oiseaux jusqu’au dernier » écrit-il en 1961. L’avenir Klein n’est pas écologiste !

            Anthropométrie -c’est un terme policier ! Relevons simplement la contradiction qu’il y a de peindre au rouleau les monochromes pour ne pas laisser sa trace (coupable mais pas responsable !) et demander à l’ « Autre », la femme, et seulement la femme, d’être d’abord et surtout trace... Les faits : La femme est prostituée aux regards des mâles costume-cravate -comme dans « Le déjeuner sur l’herbe » et ses très dix-neuvième variantes. Que l’artiste dictateur exerce sur le pinceau son absolu pouvoir, c’est légitime quand ce n’est que prolonger sa main. Mais « sous les ordres d’Yves Klein », collées au mur, au sol, rampant nues comme vers, ou me dit-on tirées par les pieds (ce qui serait moins méprisant ?), les femmes sont d’abord et surtout le spectacle de corps dans l’espace pour le voyeurisme collectif avant d’être le résultat d’un impact coloré sur la toile porteur des fantasmes que suscite le procédé de fabrication. Elles passent du statut de femmes modèles à celui de femme-objets. Car, s’il n’était question que du principe du rapport plastique du corps à la surface (comme chez Pollock), que ne s’est-il magnifiquement objectivé lui-même en peintre-pinceau ?... (...Je vêtirais plutôt mon smoking et j’enfilerais des gants blancs. Il ne me viendrait même pas à l’idée de me salir les mains avec de la peinture »Y.K. 1961)

            Y. Klein serait-il la réplique « business » de Gutaï, celui qui a compris qu’on ne travaille pas pour ce qu’est la chose produite, mais pour l’image médiatique qu’on pourra en donner ? (voir ce qu’en dit Michel Sajn). Le bleu est « une parure superflue de la réalité cosmique, qui est infinie : cette énergie immatérielle se suffit à elle-même. Il s’agit d’en prendre et d’en assumer la conscience » (Y.K.) « Ce sera la fameuse exposition du Vide en 1958. 2000 personnes viennent vernir les murs nus de la galerie Iris Clert » écrit P.Restany. Par quel mystère, si le chiffre est exact, 2000 personnes sont-elles venues un soir en cette (à l’époque) fort modeste galerie... « Le vide » de la galerie que Y. Klein dit exposer n’intéresse personne. Ce qui est vu et fait scandale, c’est l’invitation, ce sont les Gardes Républicains, le faste de la réception à rien, pas même pour le vide puisque... la galerie fait le plein ! Processus mondain qui tournait à vide, avide d’être filmé surtout, machine dérisoirement célibataire, Monsieur Duchamp. (Ressort médiatique : Christo ne remue pas les foules quand il emballe en petits paquets manipulables des objets usuels ; qu’un quart de siècle plus tard il emballe le Pont-neuf (1985), et les télévisants se précipitent ! Nous sommes au temps de la critique-publicitaire) Business ? On répondra que les idées seront vendues contre de l’or jeté au cours de l’eau... Oui, mais sous l’œil du photographe, de la caméra encore ! Au prix de la pub, c’est pas cher payé. Donne-moi de l’or, je te donne un chèque (valeur d’un papier qui ne vaut que d’être signé de mon nom !) Il ira même jusqu’à proposer des monochromes semblables à des prix différents, selon « l’intensité » ressentie par les collectionneurs. Le plus cher est le meilleur. La valeur vénale, le fric, comme critère esthétique. Chapeau !

            Propos d’artiste ou de banquier ? N’oublions pas que nous sommes dans les « trente glorieuses »... Travesti dans le plus simple appareil, nudité, tel un Bouguereau ou un Girodet de Roucy-Trioson répliquant « les classiques », il coïncide avec les poncifs les plus fondamentaux de son époque sous couvert de valeurs « éternelles ». Haro sur qui disait, dirait, dira : « Le roi est nu ».

            Oh! je sais, je n’ai rien compris. Le rapport au bleu, à la femme, au vide, c’est de l’amour cosmogonique et transcendantal. Et Pierre Restany d’évoquer « le sens de la prédestination à la maîtrise du monde, la volonté d’appropriation universelle » et d’ajouter, et là je suis bien d’accord avec P.R. « Sa culture religieuse, philosophique ou alchimiste demeurait superficielle ». La mienne aussi, je n’en discuterai donc pas, si ce n’est pour remarquer que l’emploi de ce type d’argument (Je suis la révélation et la lumière, vous êtes la nuit et la négation de l’évidence) enlève toutes possibilités de dialogue critique fécond : on est dans le domaine de l’affirmation sectaire, absolue, définitive.

            Quelle influence aura-t-il finalement exercée : fondamentalement moins que Pollock (Dripping, 1947) -au bout du compte, ce dernier, moins phraseur et certainement plus metteur en œuvres. Pour Y.K.  pas de rapport spatial au corps du peintre dans le déplacement et l’occupation de l’espace. On a à faire à un corps objectivé, un corps-pinceau, qui ne traduit pas son déplacement, mais la volonté de qui le manipule. C’est dire que si le travail de Yves Klein n’est pas non-advenu, il n’est pas à prendre aux mots, à la lettre, mais à l’acte. Sa logique ( si j’ose employer ce mot) est celle d’une lignée qui, des romantiques légers aux plus superficiels surréalistes, entend « poétique » non comme action intellectuelle, jusqu’au rêve inclus, certes, mais plutôt comme rêvasseries et pâmoisons... la référence schématique au très « mode » dans les années cinquante Gaston Bachelard ne certifie pas la rigueur de l’analyse. Nous sommes déjà dans la vague, qui va s’intensifier, où être reconnu comme écrivain ou philosophe donne compétence aux discours sur tous sujets, et donc sur l’art ! Ici commence le discours sur lui-même de l’écrivant qui s’exprime avec d’autant plus de force et de conviction, et de talent et caractère parfois, que l’œuvre alibi est ductile et n’offre à la limite aucune résistance quel que soit le propos. En quoi le Vide est idéal, qui ne réfute aucune interprétation. On peut tout y déposer, dans le Vide, c’est une décharge, une décharge à fantasme. Y.K parle de Vide-plein. Pourquoi pas ? Mais à partir de cette contraction contradictoire absolue toute dissertation devient valide : c’est le sage-fou, le sado-maso, et le très utile aveugle-voyant de la mythologie...

            On pourra tirer argument de la multiplicité des tentatives. Il indique et passe à autre chose. Parfait. « Il n’est d’œuvre que faite » disait le malin Henri Bergson. Celle de Klein se flatte souvent d’être l’ébauche de quelque chose non venu. Pourtant même le virtuel doit être pensé et mis en œuvre, assez « matériel » pour craindre le « bogue ».

            Ce qui est en jeu n’est pas la présence des fondements objectifs d’un travail plastique qui a comme le platine (métal précieux encore !) dans la catalyse favorisé d’autres ruptures et réflexions, mais une ré-évaluation, une remise en perspective ; dans son contexte, avec un peu de recul déjà. Avant de tomber dans les bonbons anglais couleur de violette des anthropométries-cosmogonies agrémentées de feuillages qui terminent le parcours, restent d’une dizaine d’années de travail quelques propositions dont la plasticité impose la présence et questionne : toiles qui posent les problèmes qui toujours travaillent fondamentalement la peinture (Cf. R. Monticelli), ceux indissociables (pratique, physique, ou mental) du rapport aux limites, à l’espace, et aux modèles comme hors-texte ou prétextes. Il me reste encore assez de lucidité dans ma passion pour concéder que pour cela Y.K. sera l’un des quatre ou cinq cents artistes que l’histoire de l’art retiendra pour raconter le XX° siècle, pour aussi avoir su remettre à la mode avec son rectangle bleu sur fond (de mur) blanc les problématiques des années vingt du Suprématisme et de Malevitch alors un peu oubliées par la pensée institutionnelle.

La Strada n°13, mars-avril 2000

(Version première d’un texte qui comportait à l’impression

quelques erreurs de composition et quelques lignes sautées).

 

 

 

 

34.

 

 

Interventions au cours  de la table ronde du colloque :

 

Spiritualité et matérialité dans l’œuvre de Yves Klein

 

(Mamac, 19 mai 2000)

 

 

1.         Il se trouve que je suis Niçois et je suis très étonné, en entendant parler de sainte Rita, que soit évoquée l’Italie alors que les niçois savant que sainte Rita fait partie d’un culte très particulier à Nice. C’est une présence très forte, alors, que personne n’en ait parlé m’a étonné : est-ce que le rapport de Klein à Nice était si éloigné que cela n’ait pas joué ou bien est-ce que c’est un hasard si les deux se sont trouvés liés ?

2.         Puisque, relevant la convergence de nos propos, Jean-Marc Levy-Leblond signalait au début de son intervention l’article que j’ai publié dans le numéro d’avril de La Strada,  je voudrais apporter quelques précisions sur ce texte.             Comme l’indique son titre, « Une pensée dix-neuvième », il s’agit principalement d’une exploration des propos tenus par Yves Klein, et qui n’aborde que de façon accessoire l’œuvre sur le plan esthétique... autant qu’on puisse séparer l’esthétique de l’éthique.

            On ne peut tenir les paroles et écrits d’un artistes pour un équivalent de sa production. Si les propos d’un artistes sont toujours significatifs par rapport à sa démarche, ou au moins symptomatiques, ce qui est produit n’est pas forcément ajusté au désir exprimé. Ni critique, ni philosophe, de ma place de praticien j’ai l’impression qu’il y a une sacralisation de la parole de Klein qui donne trop souvent à son dire force de vérité absolue - c’est le « Aristote a dit » de la scolastique... L’argument d’autorité.  Il faudrait enfin voir l’œuvre telle qu’elle est mise au monde en sa matière, non telle que Yves Klein aurait souhaité qu’elle apparaisse. Il me semble que, comme l’ont fait Jean-Marc Levy-Leblond pour l’alibi scientifique et Jean-Michel Ribettes en s’intéressant à l’influence jungienne sur Klein, l’écart ou le lien entre l’œuvre et le discours qui la soutient serait à davantage explorer, surtout dans le cas d’un artiste dont la peinture ne tient, si elle tient comme peinture, que d’être à la limite de la spécificité picturale et du conceptuel.

            Quand son discours nous donne le Feu comme un des éléments symboliques porteurs de l’œuvre, je m’étonne qu’un homme qui exerce dans la seconde moitié d’un vingtième siècle qui a connu Hiroshima ne trouve à proposer pour cette représentation symbolique qu’une grosse gazinière ou ses effets. Gazinière incapable de fonctionner les jours de gros orages! ... Bonne revanche de l’écologie sur celui qui voulait « tuer tous les oiseaux »... Les peintures de feu sur les traces de corps ne sont après tout, par leur réalisme, que de pâles copies des trop fortes images de la réalité d’août 1945.

            J’ai beaucoup entendu parler aujourd’hui du culte de Yves Klein pour Sainte Rita, en référence à l’Italie. Hors, Rita est à Nice l’objet d’un culte particulier. Il existe dans le Vieux-Nice deux chapelles très fréquentées qui lui sont consacrées. Que l’intérêt de Klein vienne d’ici ou de là-bas importe peu quant à son sens. Sauf que, s’il s’agit de la répercussion d’un fait de croyance populaire niçois, on peut y lire un ancrage plus général d’Yves Klein dans des particularités de la mentalité locale qui ont pu participer, en positif comme en négatif, à sa formation.

 

Spiritualité et matérialité dans l’œuvre de Yves Klein  Gli Orii (2003)

 Mamac et Centro per l’Arte contemporanca Luigi Pecci, Musée Pecci, Prato

 

 

 

35.

 

Galeries...

 

            La galerie Chave qui jadis accueillait M.Ernst, J.Dubuffet, G. Ribemont-Dessaigne, fait dans la fidélité à sa ligne d’individualités insolites, à ses artistes aussi, Degaine, Silbermann, Verbena, Michel Roux, Kalinowski, Slavko Kopac, Louis Pons et autres, qui périodiquement retrouvent ses vieux murs. Jusqu’au 3 mars, Georges Lauro, puis « Rengaine du on dit que dit on » texte d’André Verdet, 8 lithographies originales de Gérard Eppelé. (13 rue Isnard, 06140 Vence).

*

            Après les  étranges photos sans repère spatial et sans échelle de Jean-Robert Cuttaïa,  La Galerie Françoise Vigna exposait Sandrine Raquin dont les tableaux rêvent sur l’ironique quantification statistique des réalités affectives, et Marie-Claire Mitout, qui peint régulièrement à la gouache sur 25x18cm le meilleur moment de la veille. La vie en rose... c’est le titre. La vie en rose ? Pas si sûr... Jusqu’au 22 avril, des tirages numériques de A.Maguet, et de Marc Chevalier des tableaux où joue le support (rubans collés sur châssis) sur la structure et l’image, dont on attend avec curiosité les développements, en espérant que la démarche garde sa rigueur constitutive.

 

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Ouvertures...

            L’association L’Ormaie inaugure son lieu, Sens Interdit (art et littérature contemporains) dans le Vieux-Nice, avec Sylvie Osinski, Luc Boniface, et Elisa Forti (jusqu’au 29 février). On y trouve F.Altmann et Nivèse, et ce printemps autour de la signature de « Poèmes qu’on jette aux vents » de Jean-Pierre Charles, seront exposés  les dessins d’Ernest Pignon-Ernest qui dialoguent avec les textes, et quelques autres études récentes... ( 10 rue de la Loge, 06300 Nice)

*

            La Galerie Alain Couturier, nouvel espace associatif niçois idéalement situé, a pour vocation (comme à Paris la Galerie du Haut-Pavé) de montrer de jeunes artistes, mais, pour faire événement, c’est avec le solide et chenu travail de James Guittet que cet automne elle inaugurait son activité. Suivait un accrochage de Catherine Ferrari, à laquelle la Galerie avait attribué sont prix à la 16° Biennale de l’U.M.A.M. Succédaient des photos de Shlomoff accompagnées de textes de François Bon, livre en projet aux éditons l’Amourier ( 9 rue Saint-François-de-Paule, 06300 Nice).

 

 

36.

Charles Pannequin

 

            C’est extrêmement facile. Formule: sujet-verbe-complément. Et point. Simple point. Pas de point d’exclamation ou d’interrogation ou deux points. Non. Un point c’est tout. Sur 85 pages bien tassées en petits caractères. Du Georgia corps 12 si je ne m’abuse. Pas de raison de m’abuser. On peut m’abuser mais ce serait étrange jeu de m’abuser. Pas un paragraphe pour respirer. Très rarement, Pannequin se laisse aller au lyrisme sur trois lignes. Lyrisme exceptionnel. Pensées en association. Glissement de sens. Les sens jouent sur les mots. Les mots dans la banalité et les frottements de silex. Silex pour l’étincelle à inventer le feu. Pour savoir qui se parle ou bien jouit de soi dans les mots. Banal. Mais vertige. Banal comme parle l’inconscient peut-être. Enfin le sien. Presque le mien que je reconnais dans nos mots. Démêler le rien et le sien pour faire nôtre. Dire fascinant notre discours. On se prend dedans la machine. Dedans. Illisible bien entendu. A suivre comme une pente. A lire bien entendu. Courage fuyons.

                (Dedans de Charles Pannequin, 80 francs, Ed. Al Dante/Niok, 27 rue de Paris, 93230 Romainville.)

 

La Strada n° 14 , avril 2000

 

 

37.

Poétons un peu.

        

            Avec « A la santé des renards » de Marie-France Lucas nous sommes dans les quenauderie. N’allez pas croire qu’il s’agit d’un « gros mot », comme nous disions à la communale. Traduisez: façon Queneau. Il y a du Prévert dans l’air. A lire en ouvrant des tiroirs, avec l’esprit d’escalier.

            Avec André Blavier, c’est de « La roupie de cent sonnets », et nous sommes dans la même lignée, mais dans le tronc plutôt que dans la branche : Alfred Jarry, Raymond Queneau, Norge. Blavier joue de l’adroite torsion des phrases, et dans le sonnet « Du cousu main » ayant faussé un vers, il ne craint pas de dire en note, je cite exactement : « Ce n’est quand même pas pour deux pieds en trop qu’on irait renoncer au plus beau vers de la langue française ! » A vous de voir... en librairie ou à la Fnac, dans votre jardin ou en gondole à Venise : « Liberté Grande », comme a dit Julien Gracq. (Ed. L’Ormaie, BP 18-06141- Vence)

 

La Strada n°18 octobre 2000

 

 

38.

 

ARMAN, La traversée des objets

au Château de Villeneuve, Vence

 

            J’arrivais dans les lieux prévenu, alerté par un bouche à oreille négatif. Et confirmé par l’un de nos amis qui comme moi connaît et suit le travail depuis les premières expositions, lequel, bien que venu jusqu’à Vence, dans la Galerie Chave où nous regardions une exposition Max Ernst, me disait renoncer à voir cette « traversée des objets ». Ainsi va la rumeur.

            J’allais voir. Les organisateurs ont eu sans aucun doute l’estomac plus grand que les yeux. « La traversée des objets »  pouvait se concevoir avec des repères bien choisis moins nombreux. Pourquoi doubler ou tripler de façons moins convaincantes ce qui est déjà vu ? A trop vouloir montrer le regard est brouillé. Là où une œuvre centrale avale le volume, et deux autres occuperaient toute la surface des murs, nous subissons l’interférence d’une dizaine d’objets. Sauf  dans la Chapelle des Pénitents Blancs, avec les œuvres des années cinquante à l’accrochage plus classique, la respiration manque. Les productions d’Arman sont dévoreuses d’espace.

            Productions, car les pièces échappent aux définitions académiques, dont les techniques vont au cours des temps de la plate peinture (Cachets) à la tranche de polymère où s’inclut la couleur (Tubes de peinture), des objets globalisés en une sculpture (Accumulations) jusqu’à l’environnement (Pianos découpés)... Variations nécessaires tant elles s’inscrivent dans une continuité logique qui justifierait ici, comme dans beaucoup de rétrospective, une progression chronologique, même si les reprises tardives de certaines démarches ne sont pas sans intérêt. La division adoptée par Tita Reut, conceptrice de l’exposition, ouvre un point de vu original sur l’œuvre, en est une clé de lecture efficace par le texte, mais n’est guère didactique dans les salles surchargées : le château est un beau lieu d’exposition mais l’accumulation d’accumulations y est indigeste. Des œuvres d’Arman, Zia Mirabdolbaghi écrit justement qu’elles « appartiennent au domaine de la présentation plutôt que de la représentation pure ». La qualité de la mise en scène n’en est que plus importante. On rêve d’un développement en trois châteaux... que ce travail mérite.

            Soucieux, Arman, de la plasticité de ses productions même dans le plus grand fouillis accumulatoire, prolifique dans la beauté des ruines, romantique au fond : traces d’objets, poubelles, multiplications du même (Ah ! les beaux tubes de couleurs écrasés...) débris d’instruments de musique explosés de colère ou brûlés (de beaux restes !) toujours, malgré une logique d’abondance de productions et les alibis « socio-anthropologiques », attentif à l’ombre, à la couleur, à la forme, avec dans ce flot à chaque période au moins les quelques bonnes pièces qui témoignent d’une curiosité renouvelée et réussie. Pas toujours peintre, pas toujours sculpteur, mais toujours faisant sens, toujours artiste.

            « La traversée des objets » n’est sans doute pas ce qu’on appelle habituellement une « belle exposition » mais il est question d’une œuvre, ce qui importe davantage. A voir, donc, en attendant des espaces mieux adaptés à la démesure du projet.

 

( Arman,  Château de Villeneuve, 2 Place du Frêne. Du mardi au dimanche de 10h à 18h.Jusqu’à mars 2001. Max Ernst, Galerie Chave, Rue Isnard, Vence, juillet-octobre.)

La Strada n°18 octobre 2000

 

 

 

39.

 

Sorbonnardises ?

« Supports-Surfaces » par Marie-Hélène Dampérat

(Publications de l’Université de Saint-Etienne, Saint-Etienne, 2000)

 

Marie-Hélène Dampérat nous livre, publié par l’Université de Saint-Etienne, le corps principal d’une thèse soutenue en 1997 à Paris IV-Sorbonne. L’ouvrage souffre fondamentalement du péché originel : sa motivation universitaire initiale, le présupposé académique d’explorer un sujet plutôt que de dégager de la Peinture Analytique qui marque la période 1965-1975 un sous-ensemble Supports-Surfaces, presque-groupe significatif mais limité dans la production comme dans le temps : 9 mois d’existence chaotique et un peu tardive (1970), avec prolongations fragmentaires, et constitution après-coup d’une image retouchée quasi-cohérente par l’Institution, Musées et Ministère de la Culture... Sort ironique quand on connaît les positions d’irrécupérables défendues à l’époque par ces peintres... dans les Galeries Fournier, Lambert, Templon, Piltzer et autres !

            La vision de M-H Dampérat est un peu naïve parfois, mais (c’est le but d’un travail  de recherche universitaire) chemin faisant remet tout de même en place contre le mythe une partie du contexte, ce qui est méritoire tant est aujourd’hui prégnante l’histoire faite par le marché, la publicité et les publications qui en vivent, aux dépens du travail esthétique produit par les artistes. Le succès donne l’image première, mais la fortune de chacune des œuvres et le temps de l’analyse venu, comme ce fut le cas dans le passé, l’événement et la production reviendront au premier plan. Il restera de cette tendance une poignée d’artistes dont la moitié auront plus ou moins reçu l’étiquette Supports-Surfaces. Marie-Hélène Grinfeder (« Les années Supports Surfaces » 1991, Herscher édit.) apportait des matériaux nécessaires, l’ouvrage de M-H Dampérat permet une première mise en perspective. Ce n’est donc qu’un début, continuons...

 

 

 

40.

Karl Marx chez Vigna.

Jean Baptiste GANNE, « Le Capital illustré (livre premier) »

Galerie Françoise Vigna, 3 rue Delille, Nice.

 

            Le catalogue est rouge. (Editions Incertain Sens, 15 rue de Vincennes, 35700 Rennes). Les photos, couleurs cartes postales, style reportage en magazines. Le texte cité, qui légende chacune, très bref : « rapport de développement » ou « procès de valorisation ». Le rapport textes/photos indéterminé. Si vous avez (un peu) lu Le Capital, vous n’apprendrez rien. Si vous ne l’avez pas lu, pas grand-chose, si ce n’est votre capacité ou incapacité à déchiffrer les énigmes. Reste un certain plaisir au parcours qui justifie probablement l’aide du CNAP à la première exposition : ce n’est donc qu’un début, continuons le combat. (Pour le plaisir de citation ?)

 

La Strada n°19 novembre 2000

 

 

 

41.

 

Pour la beauté du geste : vive l’esthétique !

ou « Qui qu’est contemporain ? »

 

                Vient de paraître dans une collection poche grand public (Folio essais, Gallimard) un livre intitulé « Qu’est-ce que l’art moderne » dont l’auteur, Denys Riout, enseigne l’histoire de l’art moderne et contemporain à des étudiants en arts plastiques et sciences de l’art à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. (A l’occasion de l’ouverture de l’exposition Yves Klein,  les Niçois ont pu l’entendre prononcer au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain une fort intéressante conférence sur « L’art invisible ».) Réaction de première lecture.

 

            Le titre, « Qu’est-ce que l’art moderne », est trompeur. Pour ne pas inquiéter le client potentiel sans doute. Il s’agit plutôt d’art contemporain, avec une brève introduction par l’art moderne. La quatrième de couverture dit : « l’œuvre d’art a cessé  d’être peinture ou sculpture pour se faire uniquement vidéo, photographie, performance ou exhibition du corps de l’artiste », ce qui est caricatural du propos de l’auteur, lequel constate lui « l’élasticité formidable du concept d’art », signale page 416 des photos qui dit-il « témoignent on ne peut plus clairement du primat de la peinture qui, en dépit de son obsolescence maintes fois postulée, au cours du siècle, demeure un modèle épistémologique » et termine l’ouvrage par : « Aucun signe ne conduit à penser que cette aventure s’est achevée avec le siècle ».

            Donc vous achetez ce livre utile, vous arrachez la jaquette éditoriale superflue, et vous pouvez entrer dans le dire Denys Riout.

            Ce ne sera pas sans contradictions : l’art moderne que nous abandonnerions serait caractérisé par l’avant-gardisme, qui, contrairement à l’art actuel, aurait fonctionné sur la pratique de l’exclusion et l’idée de progrès. « L’avant-gardisme, conception devenue caduque de la modernité contemporaine » (Page 423). Mais, définissant la démarche de son exposé, Denys Riout emploie les mêmes critères : il tranche pour les « créations les plus radicalement novatrices » et arbitrairement écarte la peinture qui « bien intégrée » ne mériterait pas d’être encore  expliquée. En exemple de cette digestion picturale il cite, par dérision sans doute, Francis Bacon, Edward Hopper,  Giorgio De Chirico, Balthus, lesquels en effet troublent moins les regardeurs que ne le fait encore leur aîné Picasso, ou que Manet ou Cézanne n’avaient dérangé leurs contemporains. Mais il semble que des peintres actuels, comme Martin Miguel, Pierre Buraglio, Claude Viallat, Simon Hantaï, Max Charvolen, et autres, ne sont pas mieux et plus spontanément compris que Robert Filliou, Buren ou les « intervenants » que Denys Riout donne à connaître.

            On pourrait aussi contester la notion « d’art plastique » étendue à des pratiques qui relèvent plutôt du déroulement théâtral, (cinéma, vidéo, mise en scène d’installations). Il ne s’agit plus de plasticité, c’est-à-dire du langage de la matière, mais d’entrée dans le temps du discours. Ainsi nous dit-on, par exemple, que « la photographie-en-tant-qu’art n’affiche ici aucun trait esthétique particulier ». Elles se donneraient donc délibérément pour insignifiantes.

            Comme s’il ne pouvait plus exister en ce domaine d’esthétique : le langage de la matière serait devenu impossible. Etrange censure.

            Paradoxalement ces artistes (artistes, oui, car la démarche est parfois créatrice, mais pas plasticiens), ces artistes, qui souvent s’autoproclament subversifs, au prétexte tout à fait justifié de conceptualisation et d’attention au processus, tiennent à se raccrocher au système des arts plastiques qu’ils dénoncent, et (sans doute comme seul moyen d’entrer dans le marché !) deviennent producteurs de photos et films témoins, objets et écrits divers. Finalement, la réification détestée revient au galop... Pauvre Marcel Duchamp qui a donné le mauvais exemple en signant sur le tard en « multiples » des porte-bouteilles et urinoirs uniformisés qui auraient dû par dérision rester n’importe lesquels mis sur socle en Musées. Résultat: nous avons actuellement un art officiel qui ne fonctionne que grâce à l’appui massif des institutions.

            Les marchands du sel subversifs ne sont parvenus finalement qu’à fabriquer des boutiques à gadgets. (Voir les comptoirs des musées et des galeries... marchandes.)

            On pourrait ainsi ouvrir plusieurs débats, tous les débats : sur l’art, l’art spectacle, l’art marché, le rôle de la critique, celui très défaillant des recherches universitaires où le récit événementiel, la compilation et la confiance aux textes trop souvent  remplacent l’analyse des productions et de leur travail sur les regardeurs,

            Reste que le livre de Denys Riout était nécessaire pour faire encore comme chaque jour le point. Reste cinq cents pages qui donnent un panorama propre à nourrir la connaissance et la réflexion sur l’activité artistique actuelle, que chacun pourra exploiter, élèves et étudiants particulièrement et, pourquoi pas les professeurs.

            Reste que ce n’est qu’un début, continuons.............................................

 

La Strada n° 20, décembre 2000

 

 

     

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