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Egidio ALVARO

Le laboratoire de l'insensé*

Il faut donc prendre l'artiste plastique sur les faits,
non le prendre aux mots. Nous sommes
concernés par ce qui est produit,
non par l'intention de produire
que nous (se) raconte l'artiste.
Alocco, "In-scription d'un itinéraire" (1970)


L'exemple est connu: quand les ciseaux découpent une feuille de papier ils attaquent sans discrimination à l'envers et à l'endroit. Pourtant l'envers n'est pas l'endroit et, parfois, ce qui est inscrit d'un côté ne possède aucun rapport avec ce qui est inscrit de l'autre. Faut-il, alors, prendre Alocco (l'artiste plastique) pour ce qu'il crée ou (écrivain) pour ses réflexion écrites ? Mieux encore, faut-il le prendre pour ses motivations et ses désirs ou bien pour l'impact particulier de son œuvre sur le champ de la peinture ?
Serait-il pourtant absolument nécessaire de choisir ? Le clivage s'avèrerait-il si prononcé ? Ne pouvons-nous pas constater l'existence d'un "discours continu" qui est celui de la vie de l'artiste et qui contiendrait, sans exclusion ni opposition, envers et endroit ?
Il me semble illusoire de vouloir considérer l'oeuvre, uniquement selon l'un de ses aspects. Illusoire, contraignant, appauvrissant et naïf. Mais la masse des interventions et des informations (souvent par simple souci didactique) concernant l'art n'est-elle pas bâties sur des éléments dont l'évidence masque la fragilité ? Ne voit-on pas la réflexion bannie au rang de curiosité déplacée ? Soumis aux pressions et sollicitations les plus étonnantes et inattendues, pouvons-nous toujours exiger de l'artiste qu'il garde le sang-froid et le recul nécessaires à son auto-analyse ?
Devant l'œuvre et les écrits de Marcel Alocco je ne peux pas cacher un double sentiment d'enthousiasme et de perplexité. Enthousiasme parce qu'il a su dépasser les impasses où sombrèrent tant d'autres et agrandir sans cesse le territoire de ses recherches. Perplexité parce que, à maintes reprises, il semble minimiser, voire ignorer, l'importance de l'ouverture contenue dans son travail. La référence permamente au circuit d'avant-garde et le besoin de se démarquer en seraient les causes que cela ne m'étonnerait guère!
Je voudrais que ce texte -extérieur et analytique- même s'il est condensé et bref, puisse devenir source d'éclatement de contradictions et de paradoxes et, si possible, lieu de connaissance où cette œuvre riche de découvertes dont les implications sont loin d'épuisement se dévoile un peu plus. Il me faudra pour cela reprendre le travail présenté par Alocco depuis 65 et les textes qui l'accompagnent pour en dégager les coordonnées implicites.
En 66-67, avec l'Idéo-Grammaire, Alocco s'attaquait aux problèmes d'une "liaison formelle" traduite dans la "combinaison de deux ou plusieurs choses en fonction de l'accord sonore" (1). Langage et réalité constituaient les deux termes de l'équation. Il s'agit déjà, peut-être encore à l'état embryonnaire, d'une question de sémiotique (de reconnaissance et de désignation).
Dans "In-scription d'un Itinéraire" (1965-70) par la répétition, la détérioration et le brouillage "la méthode envisage la transformation d'un message et met en évidence que le travail ne vise qu'à une analyse de cette transmission". "Le signe renonce à véhiculer un discours qui serait unique et propre à l'artiste" (2). Il veut connaître le "fonctionnement d'un signifié au sein du statut de l'œuvre". Si la préoccupation demeure d'ordre sémantique (axée ici plutôt sur la communication, la connaissance et la position au sein du statut) et si le champ de recherches se réduit volontairement à la répétition de signaux ("création d'un modèle de lui-même qui se modifie tout en persistant dans son identité conceptuelle de signal distinct") il y a pourtant l'ébauche d'une contradiction interne, l'intrusion d'un paradoxe pas encore perçu par l'artiste. Pour constituer "un art référant à lui-même" Alocco sera obligé de faire appel à la culture, à la reconnaissance. Les signes ne sont pas neutres, ils sont chargés, et même si le discours n'est pas "unique et propre à l'artiste" il n'en est pas moins vrai que sa caution, viabilité et degré de plausibilité s'inscrivent dans le contexte même du discours culturel d'une époque tel qu'il peut être reçu, maitrisé et dynamisé par Marcel Alocco.
Ceci nous permettra sûrement de comprendre la trajectoire en apparence heurtée et imprévisible de son œuvre et de lui trouver la cohérence dont toute œuvre a besoin. Dans "La Dé-tension" (1972) il semble qu'il soit question entre autres choses d'une critique à certaines tendances prédominantes de la peinture française contemporaine dont les théories, se disant fondées sur Marx, Freud et Mao, méneraient à l'impasse, puisque "à l'inconscient productif on a substitué un inconscient qui ne pouvait plus s'exprimer"(3). S'il nous était possible de remplacer inconscient productif par code culturel ouvert, nous trouverions une première réponse à la contradiction interne décernée dans l'In-scription. Choisissant l'inconscient productif, Alocco va ailleurs jeter une vive lumière sur son travail le plus récent, le Patchwork, puisqu'il s'agira non plus d'effacer l'artiste mais de refuser une forme de raisonnement qui fermerait tout accès à l'inconscient, ce dangereux gouffre à surprises.
Alocco se cache encore derrière les démonstrations pragmatiques et didactiques et les citations parfois remarquables qui permettraient apparemment de mieux comprendre sa démarche. Il dit, par exemple, que " la tension en voilant (variant) le signifiant "dévoile" l'appartenance idéologique du signifié" 4 . Cela nous renseigne sur un autre élément organisateur de son œuvre: l'opposition farouche à toutes les tendances qui, à ses yeux, sont devenues des formalismes.
Dans La Peinture Déborde, même s'il apparaît, "le manque -dans son image- du peintre (ou de la culture) imagé", même s'il n'y a "pas de soudure possible" puisque "l'un est fait de séparations et ce qui unit indique aussi la frontière" on peut se demander s'il n'est pas arrivé à cet "engagement total" dans lequel "l'existence d'un rapport entre divers morceaux d'un artiste, fragments d'un discours se dégageant du discours continu "(4) finit par révéler le discours écrit comme un désir de provocation, ascèse volontaire, distance, écran brouillant les pistes.
Alocco indique sans cesse, dans son travail, depuis 65, le refus du discours unique. Il insiste sur l'analyse du signifié, l'écriture sans référence au réel, la répétition, le modèle de soi-même, l'objet superflu, l'effacement de la couleur, la fuite au format banalisé, la transformation du signe, le simulacre de présence, l'inscription insensée, et, de nouveau, l'effacement. Le Patchwork serait le point d'aboutissement nécessaire de cet itinéraire singulier. Il serait le moyen efficace de l'effacement de l'image, de la couleur et de l'artiste comme artisans privilégiés de l'œuvre, il les relèguerait au rang d'outils impersonnels, coupés de toute intervention branchée sur l'imaginaire.
Or je vois dans cet itinéraire insensé une permamente et obsessionnelle quête de la présence imaginative, du plaisir productif, de la totalité dynamique et, par conséquent, évolutive, et je trouve dans le Patchwork, dans ce dérisoire hissé à la dignité de création, une des issues possibles de l'impasse à laquelle avait conduit l'exclusivisme d'un champ de recherches (matérialiste et poétique) bâti uniquement sur les éléments d'inscription (espace, cadre, châssis, toile, couleur, dessin, forme outil). Elle harmonisarait la recherche matérialiste et la poétique et déboucherait à nouveau sur l'imaginaire.
Effacement? Dialectique déchirante (puisqu'en contre-courant et contre-passion) se cristallisant dans la révélation presque insoutenable (puisque refoulée) d'un moi-inconscient producteur de surprises.
Un texte (4) écrit en mars-juillet 74 donne la dimension exacte de cette révélation. Alocco y parle de "la lente et comme cérémonieuse gesticulation de l'aiguille pénétrant les deux tissus opposés face à face, sautant les franges de la déchirure, pointée soudain vers le ciel comme une interrogation puis replongeant dans la matière, reprenant le tissu dans ce mouvement en spirale que schématise le ressort et qui relie les pages de certains cahiers. Le tissu s'étale sur mes jambes, forme un tas à mes pieds, et je me découvre comme le pêcheur travaillant de l'aiguille les voiles ou les filets(...) enseveli à demie, avec le geste précis et large du bras tirant l'épaisse aiguille d'acier luisant, sur une longueur à l'échelle du drap -qui déborde le corps- à l'échelle de la fente à joindre, de la ficelle à tirer, jusqu'à ce que la main monte plus haut que la tête".

Egidio Alvaro
Paris, novembre 1974


* Synthèse d'un cours en portugais publiée en polycopié à Porto en 1974; la version française a été publiée à l'occasion d'une exposition personnelle Galerie "Le tigre de papier", Marseille, février 1976.
1. Daniela Palazzoli. Un intermedia della visione scritto-parlata, 1967.
2. Catherine Millet. Préface à In-scription d'un itinéraire, M. Alocco, Galerie A. de la Salle. janvier 1971.
3. Gilles Deleuze et Félix Guatari. L'anti-œdipe, capitalisme et schizophrénie. Ed Minuit, 1972.
4. M.Alocco. La peinture déborde. Catalogue Patchwork, Galerie A. de la Salle, 1974.

 

Egidio ALVARO

Le laboratoire de l'insensé

Alocco nasce em Nice, em 1937. A partir de 1966 desempenha um papel importante no desenvolvimento dos novos códigos estéticos frances, e em particular no movimento do Fluxos e na teoria e prática da Nova Pintura baseada na análise do funcionamento do suporte e de cor. O seu trabalho atual insere de novo o imaginário num tipo de prática que deixava supor o seu afastamento definitivo.
Em 66/67, com a Ideo-Gramática, Alocco consagrava-se aos problemas de uma "ligação formal" que se concretizava na " combinação de duas ou várias coisas em função do seu acordo sonoro". Linguagem e realidade constituiam os dois termos da equação. Tratava-se já, mas talvez ai,da em estado embrionário, de uma questão semiótica ( de reconhecimento e de designação).
Na Inscrição de um Itinerário, pela repetição, deterioração e interferência de sinais, " o método encara a transmissão de uma mensagem e põe em evidência o fato do trabalho apenas visar a análise desta transmissão". " O sinal renuncia a veicumar um discurso que seria unico e proprio ao artista". Deseja conhecer o "funcionamento de um significado no seio do estatuto da obra". Se a preocupação ainda é de ordem semântica ( orientada aqui para a comunicação, o conhecimento e a posição no seio do estatuto) e se o campo de pesquisas se reduz voluntáriamente à repetição de sinais ( criação de um modelo de si- próprio, que se modifica persistindo na sua identidade conceptual de sinal distinto) há contudo o esboço de uma contradição interna, a intrusão de um paradoxo ainda não percebido pelo artista. Para constituir " uma arte que se refira a si própria" Alocco será obrigado a fazer apelo à cultura, ao reconhecimento. Os sinais não são neutros, estão carregados, e mesmo se o discurso não é "único e próprio ao artista" a sua caução, viabilidade e grau de plausibilidade inscreveram-se no proprio contexto do discurso cultural de uma época, tal como Alocco o pode receber, dominar e dinamisar.
Isso permiti-nos à seguramente compreender a trajetória aparentenmente discordantee imprevisível da sua obra e encontra-lhe a coerência de que toda obra necessita.
Na De-tensão ( 1972) parece tratar-se,entre outras coisas, de uma crítica a certas tendências predominantes da pintura francesa contemporânea cujas teorias, fundadas em Marx, Freud e Mao, levariam ao beco sem saída, já que "ao inconsciente produtivo se substitui um inconsciente que só poderia exprimir-se". Se nos fossse possível substituir inconsciente produtivo por código cultural aberto encontraríamos uma primeira resposta à contradição interna que aparece na inscrição. Escolhendo o inconsciente produtivo, Alocco esclarecerá vivamente o seu trabalho mais recente, o Patchwork, pois que passará a tratar-se de não apagar o artista mas de recusar uma forma de raciocínio que feche o acesso ao inconsciente, esse perigoso abismo de surpresas.
Alocco esconde-se ainda por detráas de uma demonstrações pragmáticas e didáticas e de citações por vezes notáveis que permitiriam aparentementemelhor conhecer a sua trajetória. Diz, por exemplo, que "a de-tensão, velando(variando) o significante, " revele a ligação ideologica do significado". O que nos informa sobre um outro elemento organizadorda sua obra: a oposição determinada a todas as tendências que, a seu ver, se transformaram em formalismos.
Na Pintura Transbordada, mesmo se " a ausência - na sua imagem - do pintor ( ou da cultura) em imagem, mesmo se não há " soldadura possível" já que " o uno é feito de separações e o que une indice igualmente a fronteira", podemos perguntar-nos se não chegou a este compromisso total no qual " a existência de uma relação entre os diversos trabalhos de um artista, fragmentos de um discurso libertando-se do discurso contínuo" acaba por revelar o discurso escrito como um desejo de provocação, ascése voluntária, distância, ecrã defumado as pistas.
Alocco indica sem cessar, no seu trabalho, desde 65, a recusa do discurso ùnico, insiste sobre a análise do significado, sobre a escritura sem referência ao real, a repetição, o modelo de si próprio, o objeto supérfluo, a minimização da cor, a fuga do formato banalisado, a transformação do sinal, o simulacro de presença, a inscrição insensata e, de novo, a supressão. O Patchwork seria o ponto de chegada necessário deste itinerário singular. Seria o meio eficaz de suprimir a imagem, a cor, e o artista como artesãos privilegiados da obra, e colocá-los-ia na posição de utensílios impessoais, cortados de toda a intervenção ligada ao imaginário.
Ora eu vejo nesse itinerário insensato uma permanente e obcessiva procura da presença imaginante, do prazer produtivo, da totalidade dinâmica e, por conseguinte, evolutiva, e encontro no Patchwork, neste irrisório elevado à dignidade de criação, uma das saídas possíveis ao impasse atual e que tinham conduzido o exclusivismo de um campo de pesquisas ( marterialista ou poético) unicamente alicerçado sobre os elementos de inscrição ( espaço, quadro, chassis, tela, cor, desenho, forma, utensílio). Ele harmonisaria a pesquisa materialista e a pesquisa poética e desembocaria de novo sobre o imaginário.
Supressão? Dialética dilacerante ( porque em contra-corrente e contra-paixão cristalisando na revelação quase insustentável) (porque recalcada) de um eu-inconsciente produtor de surpresa.
Um texto escrito em Março/Julho de 74 dá a dimensão exata desta revelação. Nele Alocco fala da " lenta e como que cerimoniosa gesticulação da agulha penetrando os dois tecido opostos face a face, saltando as franjas da fenda, súbtamente apontada para o céu como uma interrogação, depois voltando a mergulhar na matéria, retomando o tecido num movimento espiral esquematizado pela mola que liga as páginas de certos cadernos. O tecido estende-se sobre as minhas pernas, forma um monte a meus pés, e eu descubro-me como o pescador trabalhando as velas ou as redes com sua agulha (…) meio enterrado, com o gesto precioso e largo do brço puxando a espessa agulha de aço reluzente num cumprimento à escala do pano - que transborda do corpo - à escala da fenda a juntar, do fio a puxar, até que a mão suba mais alto que a cabeça".

Paris, Novembro de 1974
Texto organizado por Egìdio Álvaro a patir da análise da obra de Marcel Alocco e de textos seus ou sobre ele escritos.

Egídio Alvaro